Comme 4 millions de téléspectateurs, j'ai vu Sambre. Cette série est l'adaptation de l'enquête édifiante de la journaliste Alice Geraud sur l'affaire dite du "violeur de la Sambre". Dino di Scala agressa près de 80 femmes dans le Nord entre 1988 et 2018. 30 ans donc, où un homme agressa impunément des dizaines de femmes, dont des mineures. Dans la série, Dino est "Enzo", l'illustration parfaite de la figure du "bon père de famille". Ouvrier métallo apprécié de ses collègues, entraîneur du club de foot, bon camarade toujours prêt à filer un coup de main.
Sauf qu'Enzo viole. Et que personne ne veut le voir.
Cette série est fondamentale car elle met en lumière 2 phénomènes, bien connus de celles et ceux qui travaillent sur les mécanismes des violences faites aux femmes :
👉𝐋𝐞 𝐜𝐨𝐮̂𝐭 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐩𝐚𝐫𝐨𝐥𝐞 : parler expose les femmes à d'autres violences, insidieuses mais bien réelles. Dès les premières scènes, on suffoque quand on voit la façon dont les policiers accueillent les plaintes des victimes (en gros, on les culpabilise ou on ne les croit pas). Quand certaines d'entre elles se confient à leurs conjoints, le mari les quitte ou se préoccupe de sa propre réputation "tout le monde en parle au boulot et ça me pèse, tu y as pensé à ça ?". Quand dans les années 2000, la maire de Louvroil, en colère contre l'inaction des institutions décide d'ébruiter l'affaire pour alerter l'opinion publique, on lui fait payer "ce n'est pas de la bonne pub pour le territoire, ça fait fuir les investisseurs". Bref, pendant 30 ans, on a incité les femmes à se taire.
👉 𝐋𝐞 𝐜𝐨𝐮𝐩𝐚𝐛𝐥𝐞 𝐢𝐦𝐩𝐨𝐬𝐬𝐢𝐛𝐥𝐞 : les hommes violents ce sont les autres. Rose Lamy décortique très bien ce phénomène dans son ouvrage "En bons pères de famille". La société entière (les flics, les magistrats, les voisins) n'a pas pu envisager une seconde que le coupable était là sous leurs yeux. Alors même que la police disposait d'un portrait robot de l'agresseur (scène hallucinante où Enzo se poste devant son portrait robot au commissariat et ironise "vous ne trouvez pas qu'il me ressemble ?"). On a préféré se raconter que le violeur de la Sambre était un marginal, un fou, un désaxé. Pendant 30 ans, on n'a pas vu ou pas voulu voir.
Cette série rend hommage aux victimes. A celles et ceux qui les ont aidées et qui les ont prises au sérieux. Elle pointe les mécanismes de violences et les défaillances de tout un système. Et ça, en prime time, sur une chaîne du service public en 2023 et bien c'est énorme.
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