Tout le monde se déclare de la classe moyenne, c'est commode, ni trop pauvre, ni trop riche. Les politiques s'engouffrent aussi dans cette facilité, s'adresser à la "classe moyenne", c'est s'assurer de toucher le plus grand nombre, et un maximum de voix. Sauf que les classes moyennes n'existent plus. C'est en tout cas la thèse défendue par Agathe Cagé dans cet excellent essai : "Classes figées, comprendre la France empêchée".
Pour la chercheuse, la France se divise en deux : une minorité resserrée, qui ne subit pas les conséquences des crises ; une écrasante majorité qui absorbe les chocs (la hausse des taux d'intérêt, des prix de l'énergie, de l'alimentation…) et qui n'a plus aucune prise. Pour bien le comprendre, il faut avoir en tête ce chiffre : les dépenses contraintes atteignent aujourd'hui 30% du budget des ménages. La France des ouvriers, des employés de la sous-traitance, des livreurs, des services publics maltraités (enseignants, soignants) est une France empêchée. Empêchée dans sa relation au travail, à la mobilité, à l'avenir.
> 𝐀𝐮 𝐭𝐫𝐚𝐯𝐚𝐢𝐥, les salariés manquent de temps, de sens, d'autonomie et de reconnaissance. Ils se trouvent dans l'impossibilité de se sentir fiers du travail bien fait.
> 𝐋𝐚 𝐦𝐨𝐛𝐢𝐥𝐢𝐭𝐞́ : la France des classes figées perd en moyenne 6 mois d'existence à attendre sur des quais de gare des trains en retard ou annulés. En Hauts-de-France par exemple, le nombre de TER supprimés chaque année a été multipliée par 2,3 entre 2019 et 2022. On pense à l’héroïne du film « à plein temps » qui exposait clairement cette nouvelle ligne de fracture : la France des TGV qui pratique le télétravail de manière régulière versus la France qui court et attend sur les quais des RER/TER qui n'arrivent pas.
> 𝐋𝐞𝐬 𝐝𝐞𝐬𝐭𝐢𝐧𝐬 : la France est championne du déterminisme scolaire. L’origine sociale compte beaucoup plus que les résultats académiques dans les parcours d’études. Un chiffre : l’essentiel des candidatures post-bac de Sciences Po Paris proviennent du 16è, 5è et 6è arrondissement.
> 𝐋𝐞 𝐥𝐨𝐠𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 : les conditions d’accès à la propriété se durcissent considérablement. Or, on rappelle que 61% des Français rêvent de devenir propriétaires (80% chez les 18-34 ans). Pourquoi ? Parce qu’avoir un toit à soi est toujours perçu comme une promesse de sécurité, un gage de reconnaissance sociale, précisément pour celles et ceux qui n’ont pas prévu d’hériter.
Alors bon c'est pas feel-good mais on ne lit pas de la sociologie pour se faire des papouilles. Ce livre a le mérite de partager les réalités vécues par des milliers de nos concitoyens. Le drame c’est que les populistes, les "pyromanes du ressentiment" alimentent la colère.
Et la chercheuse d’appeler à un sursaut collectif pour redéfinir un projet politique porteur d'espoir. De faire en sorte que le travail retrouve son rôle émancipateur. Bref, qu'on débouche l'horizon.
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