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Votre bobun est politique, tout est politique !

Ma génération trie ses déchets, marche pour le climat mais ne glisse pas le bulletin Europe Ecologie Les Verts dans l'urne (:( ) Elle se méfie des partis et ne croit plus en la politique. Ma génération revendique le droit au télétravail et au yoga auprès de son « Chief Happiness Officer » mais ne vote pas aux élections des représentants du personnel. Elle raille gentiment les syndicats, derniers bastions d’un « vieux monde » qui ne ferait plus rêver. Ma génération organise la fête des voisins dans son immeuble mais fuit les réunions du conseil syndical. Que s’est-il passé en 40 ans ? Ce délitement progressif des structures collectives, ce désintérêt croissant des « corps intermédiaires » comme on dit, est-il irrémédiable ? C’est à cette question que répond le dernier essai de Raphaël Glucksmann « les enfants du vide ».


La quête du bien-être a remplacé celle du bien


« Nos parents ont vu le jour dans un univers saturé de sens, de dogmes et de mythes, qu’ils soient de gauche ou de droite […] nous sommes nés, nous dans un monde dont le problème n’est pas le trop-plein d’idéologies, mais son antithèse, le vide », Glucksmann plante le décor. Nous sommes les enfants d’une époque qui glorifie la réussite individuelle, la figure de l’entrepreneur successful est devenue le mythe ultime. Et pour faire partie des « winners », pour être heureux, on s’entoure de coachs bienveillants et on dévore les ouvrages de développement personnel. « Quand on veut, on peut ! », le mantra de la société libérale semble avoir conquis toutes les sphères de notre vie : le travail, la santé, l’éducation, le bonheur. Or, comme le rappelle justement l’essayiste « nous ne sommes pas que des volontés, nous évoluons dans un environnement, nous héritons d’une situation, nous avons une place, une classe » mais nous avons tendance à l’oublier. La psychologie a pris le pas sur la sociologie. Edgar Cabanas et Eva Illouz partagent également ce constat amer dans l’excellent ouvrage Happycratie : comment l'industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies. Nous ne sommes plus que des individus, des « homo economicus » dont l’objectif est la maximisation de ses intérêts personnels. Déprimant, et surtout dangereux.


Dans un chapitre consacré à la démocratie et à la politique, Glucksmann éclaire la montée des populismes dans nos contrées occidentales. Trump, Le Pen, Salvini et consorts « proposent une forme de nous que les progressistes ont renoncé à proposer ». La montée des inégalités *, la gouvernance des experts, la propension des dirigeants politiques à embrasser le dogme du marché en reprenant le "there is no alternative" si chère à Margaret Thatcher…tout cela laboure le terreau idéal au despotisme et au repli identitaire. Les promesses non tenues, le favoritisme envers les plus fortunés, la confiscation du pouvoir par les technocrates amènent inévitablement les citoyens à vouloir « reprendre le contrôle ». Or, il y a une autre façon de reprendre le contrôle : en réhabilitant le politique.


Redevenir citoyen


Glucksmann nous encourage à redevenir « citoyen ». Pour l’essayiste, « l’homme privé, en devenant citoyen, bascule dans une autre sphère, dans laquelle il appartient à la chose commune avant de s’appartenir à lui-même ». Retrouver le goût de la chose publique et réapprendre le sens du commun, beau programme. Glucksmann l’étaye d’illustrations concrètes, en relatant par exemple la mobilisation des citoyens d’Hambourg qui, en 2010, ont réussi à s’opposer à la privatisation du réseau de distribution de gaz et d’électricité de leur ville, grâce à l’action collective via une plateforme citoyenne et l’obtention d’un référendum. Les exemples d’expérimentations réussies de démocratie participative, de citoyens engagés et d’élus non résignés ne manquent pas. Ils mériteraient d’être plus médiatisés pour contrer le « tous pourris » ambiant qui mène au repli individualiste.


L’auteur consacre également un chapitre entier à l’urgence historique de notre époque : l’écologie. S’il ne condamne évidemment pas frontalement ceux qui militent pour le changement des comportements individuels (ne jetez pas votre lombricomposteur !), il insiste sur cette réalité évidente : le combat écologique doit être politique. « Que chacun fasse ce qu’il peut à sa propre échelle est un préalable à une évolution générale, mais ce n’est pas, en soi, une évolution générale. Rien ne changera réellement tant que Total, Exxon et Monsanto ne sentiront pas une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête. Perdre de vue la dimension politique de l’écologie, c’est la condamner à l’impuissance ». Glucksmann voit dans l’écologie la cause commune qui pourrait redonner un sens au combat collectif et devenir l’antidote à la dissolution du lien social.


Alors pourquoi parler d’un essai politique sur Linkedin me direz-vous ? J’entends les mauvaises langues persifler que les opinions politiques n’ont pas leur place sur ce réseau voué au business et à l'impartialité. Or j’ose croire que l’entreprise est aussi le lieu où le sens du commun peut s’exprimer. Développer des organisations apprenantes, où les salariés sont formés, armés pour participer à la prise de décision me semble être une utopie réaliste. L’engouement pour les systèmes coopératifs, pour la sociocratie et la gouvernance horizontale me donne espoir.


Entreprise et bien commun


L’entreprise est une micro-société où même nos actes les plus anodins peuvent avoir une résonance politique. Si à 10h, lors d’une réunion d'équipe, vous êtes témoins de « maninterrupting » (l’interruption systématique et injustifiée des femmes par leurs collègues masculins) et que vous réagissez, vous luttez contre le sexisme ordinaire. Si à 13h, vous descendez chercher votre bobun préféré plutôt que de vous le faire livrer via Uber Eats, vous refusez un certain modèle de société. Si à 17h, vous accompagnez une association grâce à un programme de mécénat de compétences, vous vous engagez concrètement.


Les actes individuels participent certainement au changement de société, mais ils ne peuvent rien sans l’engagement collectif. A l’échelle de notre entreprise, de notre quartier, de notre association, ou de notre nation, réhabilitons le sens du commun. Le politique est mort, vive le politique !


* En 1978, les PDG des grandes entreprises américaines gagnaient en moyenne 30 fois le salaire moyen de leurs salariés. Aujourd’hui, ils gagnent 300 fois plus.

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